- PRÉRAPHAÉLITES
- PRÉRAPHAÉLITESDans l’atmosphère viciée de la peinture anglaise du début de l’ère victorienne, les préraphaélites apportent une vision originale et des objectifs nouveaux. Ils dénoncent l’inertie académique, la sentimentalité béate, le fini sombre, bitumeux, de la peinture des années 1840, et témoignent de leur curiosité juvénile, d’un sens hardi de la recherche et, pardessus tout, d’une vision chaleureuse de miniaturiste, qui n’a cessé de hanter les imaginations.Sept jeunes hommes, en 1848, décident de constituer la Confrérie préraphaélite (Pre-Raphaelite Brotherhood), dans le but de redonner vie à l’art par un retour à la nature. Admirateurs de Raphaël, ils rejettent cependant les conventions périmées auxquelles son enseignement a donné naissance, et cherchent leur inspiration auprès des maîtres italiens primitifs, attitude qui est à l’origine de leur nom. Pour ces artistes, essentiellement littéraires, les thèmes privilégiés sont, à côté des sujets historiques et bibliques, la poésie et la littérature contemporaines, ainsi que la critique de la société. En rébellion ouverte contre la Royal Academy en ce qu’elle est le centre de toute la vie artistique de l’époque, ils vont s’efforcer de la confondre en donnant le plus grand éclat à leur conception d’un art vivant.Le groupe des préraphaélitesDes sept membres du groupe, trois personnalités remarquables se détachent: William Holman Hunt (1827-1910), John Everett Millais (1829-1896) et Dante Gabriel Rossetti (1828-1882), qui donnent au mouvement une réelle ampleur. À leurs côtés se trouvent William Rossetti (1829-1919), qui ne peignit jamais et assuma les fonctions de secrétaire et de porte-parole littéraire du mouvement, James Collinson (1825?-1881), qui s’orienta rapidement vers une médiocre peinture de genre, Thomas Woolner (1825-1892), sculpteur de quelques beaux portraits en médaillon, mais dont l’œuvre ne révèle pas d’affinité particulière avec les principes des préraphaélites, et Frédéric George Stephens (1828-1907) qui n’exécuta qu’un petit nombre d’œuvres, dont il détruisit la plus grande partie, et se consacra à la critique d’art.L’unité du mouvement fut de courte durée; il commençait déjà à se désintégrer vers les années 1853-1854, à mesure que l’évolution de chacun des membres accroissait les divergences d’idées et d’intérêts.Il est possible de distinguer trois phases plus ou moins nettes dans l’histoire du groupe. Dans la première phase, tous les membres suivent une inspiration commune, se vouant à une imitation stricte des sources de l’art italien et des nazaréens. À partir de là, Rossetti suit sa propre évolution, dans le sens d’un «médiévalisme» d’imagination. Le deuxième moment consiste en un pur naturalisme, étroitement associé à une peinture directe en plein air. La troisième période, qui va des années 1853-1854 à la fin de la décennie, marque le passage d’une vision commune intense à un style personnel visant des objectifs différents.Le mouvement eut un important sympathisant et allié en la personne de Ford Madox Brown (1821-1893), artiste plus âgé, formé sur le continent, qui ne fut cependant jamais membre du groupe. Un plus large groupe d’adeptes se constitua avec un cercle d’amis qui reçurent aussi le nom de préraphaélites. Les principaux d’entre eux furent Walter Deverell (1827-1854), étroitement apparenté à Rossetti, Charles Allston Collins (1828-1873), imitateur de Millais, Thomas Seddon (1821-1856) et John Brett (1832-1902), peintres de paysages méticuleux, Arthur Hughes (1832-1915), peintre de genre à l’imagination vive, Henry Wallis (1830-1916), peintre d’histoire, de genre et de paysage, William Dyce (1806-1864) qui se convertit aux idées préraphaélites vers la fin de sa vie. Il faut signaler aussi, en province, à Liverpool, un petit groupe de disciples, qui apporta une contribution personnelle mais limitée: en particulier, W. L. Windus (1822-1907), peintre d’histoire et Williams Davis (1812-1873), peintre des paysages sensibles.Longtemps, la qualification de préraphaélite a été donnée, par confusion, à la dernière période de l’œuvre de Rossetti, ainsi qu’à celle de ses disciples en particulier, à Edward Burne-Jones (1833-1898). En fait, la conception essentiellement idéale et poétique qu’ils formulèrent est passée dans le mouvement esthétique, et se distingue de façon radicale de la doctrine de la «fidélité à la nature» exposée par la Confrérie en 1848.Les précurseurs et la formation de la ConfrérieDeux facteurs importants annoncent la révolte préraphaélite. Il y eut, en premier lieu, la pénétration en Grande-Bretagne, au cours des années 1830 et 1840, du style italianisant guindé, propre aux nazaréens allemands qui travaillaient à Rome, et cela par l’intermédiaire de disciples tels que Williams Dyce, et grâce aussi aux projets conçus dans les années 1840 à l’occasion des importants concours de Westminster Hall pour les nouvelles chambres du Parlement. Des expériences furent alors tentées, portant sur la technique de la fresque, ainsi que des essais d’utilisation de couleurs pâles éliminant les forts contrastes d’ombre et de lumière de la peinture à l’huile, par des artistes tels que Dyce, Mulready et Brown.Le second facteur déterminant fut la publication des Modern Painters (Peintres modernes ) de Ruskin (vol. I., 1843; vol. II, 1846). Les préraphaélites découvraient le fondement même de leurs principes dans son éloge exalté de la simplicité et de la vérité de l’art italien primitif, et dans le conseil qu’il donnait à tous les jeunes peintres de retourner à la nature pour leur enseignement, «en ne rejetant rien, en ne sélectionnant rien, en ne méprisant rien, en croyant que toutes choses sont bonnes et justes, et en puisant sa joie dans la vérité».La première incitation à opérer une réforme vint de William Holman Hunt. S’étant mis tardivement à l’étude de l’art, il contestait déjà les pratiques habituelles lorsqu’il lut, en 1847, Les Peintres modernes . Cela le détermina à rompre définitivement avec les conventions artificielles et à pratiquer, à l’instigation de Ruskin (comme il le raconta longtemps après dans sa très importante autobiographie), «une peinture de plein air, avec un avant-plan et un arrière-plan, rendant dans leur totalité les feuillages bruns, les nuages de fumée et les encoignures sombres, peignant l’extérieur dans sa totalité, directement sur la toile elle-même, avec tous les détails que je peux apercevoir, et l’éclat du soleil lui-même». Il décidait en même temps d’introduire dans ses sujets un contenu moral élevé.Il convainquit Millais, son camarade d’études, de la justesse de ses vues. Millais possédait l’aisance technique du professionnel, qui faisait alors défaut à Hunt; en outre, lauréat des écoles de la Royal Academy, il se trouvait au début d’une carrière assurée du succès. Un nouveau converti fut conquis en la personne de Rossetti, poussé à la fois par son intérêt pour la poésie de Keats et par son désir d’étudier la peinture. Rossetti introduisit Brown, qui s’essayait alors dans le style nazaréen et dans un réalisme à la Holbein; Madox Brown donna des conseils mais resta à l’écart. Au cours de l’été de 1848, Millais montra à ses amis des gravures au trait de Lasinio d’après les fresques de Benozzo Gozzoli au Campo santo de Pise, les donnant comme le type même du style clair et simple dont ils devaient s’inspirer. À l’automne, de nouveaux adeptes, tous jeunes, se joignirent à eux; ils décidèrent alors, dans un esprit révolutionnaire, de constituer la Confrérie préraphaélite, demandant leur inspiration aux sources de l’art italien dans la mesure où ils les connaissaient, et prenant la nature comme modèle.Les réalisationsLeurs premières œuvres, exposées l’année suivante sous les initiales mystiques P. R. B. (Pre-Raphaelite Brotherhood), eurent un retentissement immédiat. Isabella de Millais (Walker Art Gallery, Liverpool), Rienzi de Hunt (coll. privée), The Girlhood of Mary Virgin (L’Adolescence de la vierge Marie ) de Rossetti (Tate Gallery, Londres) se distinguaient par l’approche archéologique propre aux nazaréens, dans leur imitation méticuleuse des détails et particularités «médiévales». La vivacité de la composition, le caractère humain des portraits (les peintres s’étant pris pour modèle l’un l’autre), le soin minutieux du détail, le symbolisme et l’éclat chaleureux des couleurs, issus de la technique de la fresque, tout cela annonçait un style nouveau et suscita beaucoup d’éloges.Sous la direction de Rossetti, poète autant que peintre, ils lancèrent un journal, The Germ (Le Germe ), dont l’existence fut brève, afin d’assurer l’expression et la diffusion de leurs vues. Ils consacrèrent une grande partie de leur activité à exécuter des dessins offrant les mêmes particularités que leur peinture. Rossetti et Hunt visitèrent la France et la Belgique, découvrant Van Eyck et Memling, et mettant Hippolyte Flandrin au sommet de l’art français. Le cercle s’élargit avec l’adhésion de Deverell et Collins et de personnalités littéraires telles que Coventry Patmore et le poète et artiste William Bell Scott. Brown tentait, de son côté, d’intégrer dans sa peinture la technique des préraphaélites et leur fidélité à la lumière naturelle.On traite alors avec prédilection les thèmes religieux; ce sont notamment: The Carpenter’s Shop (L’Échoppe du charpentier ) de Millais (Tate Gallery), A Converted British Family Sheltering a Christian Priest from the Persecution of the Druids (Famille anglaise convertie soustrayant un missionnaire chrétien à la persécution des druides ) de Hunt (Ashmolean Museum, Oxford), Ecce ancilla Domini (devenue par la suite L’Annonciation ) de Rossetti (Tate Gallery), The Renunciation of Elizabeth of Hungary (Renonciation de la reine Élisabeth de Hongrie , 1850-1851) de Collinson (Art Gallery, Johannesburg), Convent Thoughts (Méditations monastiques , 1850) de Collins (Ashmolean Museum), Christ Washing Peter’s Feet (Jésus lavant les pieds de Pierre , 1852) de Brown (Tate Gallery). Mais l’exposition des trois premières toiles en 1850 (chez Rossetti, à nouveau, à l’«Exposition libre») souleva une véritable tempête d’injures. Le mystère des initiales employées pour les signatures s’ajoutant au réalisme saisissant et à l’iconographie insolite de la toile de Millais, provoqua de violentes réactions, et, selon les divers camps, on accusa les rebelles de blasphème, de papisme ou de perversité. L’attaque fut portée, à l’Académie, contre Millais et Hunt. Collinson se hâta alors de démissionner en invoquant des motifs religieux; Rossetti refusa d’exposer de nouveau et se consacra de plus en plus à des sujets d’imagination traités à l’aquarelle, illustrant ses œuvres favorites, Mort d’Arthur et Dante .Millais et Hunt inaugurent à ce moment une période nouvelle, et donnent la primauté à l’éclat des couleurs résultant d’une imitation de plus en plus fidèle de la lumière du soleil. Ils peignent leurs fonds en extérieur, au soleil ou sous la pluie, ajoutant ultérieurement les personnages dans leur atelier; ils utilisent un support blanc humide qu’ils couvrent de fines couches de couleur à l’aide d’un pinceau en poil de martre pour obtenir une plus grande luminosité. Millais parvient à une remarquable force d’expression dans l’attitude de ses personnages. Hunt se préoccupe principalement de transmettre un message moral. Rossetti s’efforce d’assimiler leur approche naturaliste, mais il échoue à composer un fond naturel comme il échouera plus tard à terminer un sujet moral moderne (Found , Delaware Art Center, Wilmington, États-Unis).Les attaques se poursuivent à la Royal Academy en 1851, ce qui est la source, pour Hunt, de difficultés financières, alors que Millais, pour sa part, n’a jamais cessé de vendre. L’Académie continue d’accrocher leurs toiles, que sont seuls à défendre, ou presque, Dyce, et Augustus Egg. La trêve survient au mois de mai: Patmore demande à Ruskin, qui est alors le critique d’art le plus éminent, de prendre leur défense dans ses fameuses lettres au Times. Ruskin accorde d’abord sa protection à Millais, puis à Rossetti.La phase naturaliste atteint son point culminant dans trois peintures de 1851-1852, qui sont fondamentalement des paysages: Ophélie de Millais (Tate Gallery), Hireling Shepherd ( Le Berger stipendié ) de Hunt (City Art Galleries, Manchester) et Pretty Baa Lambs (Jolis Petits Agneaux ) de Brown (Birmingham). Toutes les trois ont été exécutées dans la lumière du soleil d’été avec un réalisme intense. La brillante littéralité de Millais débouche sur une vision d’une objectivité saisissante; les robustes paysans de Hunt sont fortement empreints de valeurs symboliques; l’œuvre de Brown est de la peinture «pure» dépourvue de tout élément narratif. Chacune des œuvres offrait ainsi comme une synthèse de l’attitude personnelle des trois artistes.Millais trouve le succès avec son Huguenot sentimental, qui est aussi de 1852 (coll. Makins), et Order of Release (Levée d’écrou ) de 1853 (Tate Gallery). Hunt se préoccupe toujours davantage de morale moderne, avec son Awakening Conscience (Éveil de la conscience ), qui se veut exemplaire, de 1853-1854 (Tate Gallery), et trouve sa voie dans la religion avec sa Light of the World (Lumière du monde ) de 1853-1854 (Keble College, Oxford), qui jouira d’une célébrité tardive. Brown réalise son chef-d’œuvre dans la peinture de paysage avec le nostalgique English Autumn Afternoon de 1852-1854, tandis qu’un réalisme social moderne anime son monumental Last of England (Les Exilés ) de 1852-1854 (City Museum and Art Gallery, Birmingham). À l’exposition de Paris, en 1855, Delacroix, et Baudelaire se disent frappés par la vision qu’avaient ces peintres de la réalité.Millais est élu associé de la Royal Academy en 1853; en 1854 et 1855, Hunt voyage en Palestine à la recherche de sujets; Rossetti et Brown s’enferment dans leur isolement; c’est dire que la Confrérie préraphaélite est morte. Ses principaux membres poursuivent des carrières divergentes: Millais recherche le succès, Hunt se voue à l’expression religieuse et Rossetti à l’imagination pure.La seconde phase du mouvement suscita de nombreux adeptes, entraînés pour un temps plus ou moins bref dans le tourbillon de la vitalité préraphaélite. On les vit tantôt développer les thèmes de l’amour non partagé ou de la tragédie passionnée de la mort, tantôt rechercher une précision scientifique ou photographique. Mais l’intensité d’expression de l’œuvre caractéristique d’Arthur Hughes, April Love , de 1855-1856 (Tate Gallery), demeurera sans lendemain. La paix d’un été chatoyant déployée dans The Stonebreaker (Le casseur de pierres , 1857-1858; Walker Art Gallery, Liverpool) de Brett cédera la place à une manie accablante du détail géologique. Délaissant les nazaréens, Dyce enferme le naturalisme dans le silence du daguerréotype. Des artistes de moindre envergure ne surent que s’attacher aux détails.La phase finaleGrâce à son étonnante habileté d’exécution et à sa maîtrise du dessin, Millais s’est révélé capable, sous l’influence stimulante de Hunt et de Rossetti, de s’approprier ce sens de l’intensité qui est au cœur du préraphaélisme. Mais, privé de leur impulsion et avide de stabilité après son mariage avec Effie Gray (ex-Ruskin) en 1855, son intérêt pour le mouvement préraphaélite diminue, sa technique se relâche, et il s’oriente vers une peinture de genre à la mode. Deux de ses plus belles œuvres datent cependant de cette période de transition: The Blind Girl (La Fille aveugle , 1854-1856 ; City Museum and Art Gallery Birmingham), avec sa simplicité de vierge paisible et recueillie, et Autumn Leaves (Feuilles d’automne , 1856; City Art Galleries, Manchester), adieu nostalgique à l’adolescence. Avec leurs paysages palpitants et leurs sujets modernes, elles offrent un accord admirable entre l’idéal préraphaélite et la vie contemporaine. Mais le Millais de la maturité n’a plus que des morceaux de bravoure académiques à proposer; il est élu membre de la Royal Academy en 1863, et il en devient le président en 1896.Holman Hunt trouve en Palestine cette «soumission à la nature» dont il avait besoin pour son approche fondamentalement religieuse. Une œuvre ambiguë comme The Scapegoat (Le Bouc Émissaire , 1854-1855; Lady Lever Art Gallery, Port Sunlight), avec sa solitude désolée, marque le passage de la vision neuve de la jeunesse du peintre à l’isolement chargé d’implications morales et de détails symboliques de sa maturité. Une toile où s’accumulent notations et détails, et qui offre l’apparence d’un émail, Finding of Christ in the Temple (Découverte du Christ dans le Temple , City Museum and Art Gallery, Birmingham), est accueillie en 1860 avec une grande ferveur, tandis que les gravures qu’il exécute d’après ses sujets religieux lui valent une large popularité.Si Hunt a été le seul à observer à la lettre, pendant toute sa vie, les principes préraphaélites, c’est cependant avec ses expériences de coloriste qu’il poursuit dans ses dernières toiles où l’imaginaire se déploie dans toute sa plénitude – comme en témoigne The Lady of Shalott (1886-1905, Hartford, Connecticut) – et qu’il apporte sa contribution la plus originale à la pensée du XXe siècle.Rossetti était, de tous, le moins doué techniquement, et peu porté, par tempérament, à adopter les vues réalistes de ses compagnons; il découvre sa véritable voie dans des sujets «médiévaux», qu’il traite sur de petites dimensions. Les aquarelles des années cinquante, semblables à des miniatures, avec leurs couleurs héraldiques et leur atmosphère intensément mystique – et qui trouvent leur parallèle dans sa poésie –, expriment admirablement son style personnel; non moins significatives sont les illustrations pleines d’imagination qu’il exécute pour les poèmes de son ami Allingham, pour le Tennyson paru chez Moxon en 1857 (dont les préraphaélites assurèrent la célébrité) et la série inspirée de dessins qu’il fait d’Élisabeth Siddall, à la fois son modèle, sa femme et son élève.Ce sont ces œuvres qui servent de référence aux premières productions de disciples plus jeunes comme William Morris (1834-1896) et Edward Burne-Jones, qui se joignent à Rossetti pour exécuter les décorations manquées de l’Oxford Union en 1857 et pour constituer, en 1861, la Morris Firm (société de décoration et d’arts graphiques), qui exercera une grande influence sur l’évolution des arts décoratifs.Retournant à la peinture à l’huile à la fin des années cinquante, Rossetti trouve le modèle pour ses études ultérieures de femme exotique dans les longs cheveux roux et la personnalité pensive de sa bien-aimée Lizzie Siddall. Vivant discrètement au centre d’un univers fermé et exclusif dont il est l’idole, Rossetti a été salué comme le père du préraphaélisme. On s’est obstiné à qualifier aussi de préraphaélite le style volupteux de sa maturité, ainsi que, plus tard, le monde de rêve composé par Edward Burne-Jones, mais qui ressortit, en fait, au Mouvement esthétique.Dans son application personnelle du naturalisme préraphaélite, Ford Madox Brown, le plus proche compagnon de la Confrérie et ami de toujours de Rossetti, apporte sa solide formation de peintre d’histoire et son jugement d’intellectuel. Ses sujets sont replacés, avec tous leurs détails, dans leur atmosphère, incluant les rayons de soleil de Pretty Baa Lambs et le froid glacial dans The Last of England (où il obtient les teintes de chair bleue qui s’imposent). Les études de paysage qu’il exécute au cours des années cinquante témoignent de sa soumission esthétique à la nature: «Un jour exquis, écrit-il en 1854, haies d’or, de rubis et d’émeraudes – défiant tous les «fonds blancs» d’en offrir autant». Il s’est peut-être le plus intéressé à l’application du préraphaélisme à l’analyse de la société contemporaine et, sous l’influence d’un socialisme libéral portant la marque de Carlyle, il compose cette œuvre massive et fouillée, intitulée Work (1852-1865, City Art Galleries, Manchester). Ayant rejoint la Morris Society, il oriente vers des formes plus décoratives, tout en subissant fortement l’influence du style sensuel tardif de Rossetti. Il n’a jamais connu, de son vivant, le grand succès; les peintures murales de l’hôtel de ville de Manchester (1878-1893), sa dernière œuvre, annoncent l’Art nouveau.Pour tous ces artistes, le préraphaélisme n’aura été qu’une expérience de courte durée. Il n’a pu ni soutenir le programme d’une vie entière, ni résister à la maturité. Il a été essentiellement une vision de jeunesse, qui se décomposa dès lors que les artistes se virent confrontés aux pressions matérialistes du milieu victorien. La force d’expression et la richesse d’imagination dont il a témoigné lui assurent néanmoins une place remarquable dans la peinture britannique.
Encyclopédie Universelle. 2012.